dimanche 27 novembre 2011

Passer au chinois

J'étais remonté. La visite de ce p'tit inspecteur de mes deux m'avait mis les nerfs en pelote. Lui et ses gars me filaient le train depuis plusieurs mois et j'dois dire que ça me faisait marrer. La flicaille n'a jamais su être discrète et on ne la fait pas à Eddie Hant. Mais oser me déranger chez moi, là il avait dépassé les bornes. Qu'est-ce qu'il croyait ce petit con ? Que j'allais le rancarder sur l'assassin de Laura ? Nom de Dieu, j'savais même pas qui l'avait butée cette pute. En tout cas, un enfant de salaud s'en prenait à mes filles et fallait remédier à ça. Il y avait un type qui trainait avec ce gars qui s'était entiché de Laura. Un chinois. Charly Wang. J'avais entendu de drôles de choses à son sujet. Alors j'ai appelé un pote à qui j'avais rendu un service dans le temps.

- Salut la Carlingue, c'est le moment de rembourser ta dette.


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dimanche 30 octobre 2011

Peine d'amandes

En fin de journée, je suis retourné à l’hôtel pour poser quelques questions à Josie, la proprio de l’établissement. J’avais chargé des gars de mon équipe de le faire et cela n’avait rien donné. Elle n’avait rien vu, rien entendu. Me suis dit qu’il valait mieux plutôt deux fois qu’une et qu’avec un peu de chance, j’allais lui soutirer quelques informations.

— J’ai rien vu inspecteur, avec tout le monde qui passe, peux pas me souvenir de tout le monde.
— Laura, vous la connaissiez?
— Bien sûr, elle faisait deux à trois passes ici par nuit, parfois plus, parfois moins... vous savez, y a des choses qui demandent pas à se faire dans un plumard.
— Je vois... Et vous n’avez rien remarqué au sujet des gars qui sont montés avec elle cette nuit?
— Rien et pis moins j’en vois, mieux je me porte!
— Ouais, et si mes gars et moi, on ouvrait grands les yeux sur ce qui s’passe ici, hein?
— J’vous jure inspecteur, j’ai rien remarqué.

Je lui ai laissé ma carte et suis allé au bar d’en face. J’avais besoin d’un verre, l’image de Laura ne cessait de me hanter depuis le matin. C’était une chic fille et j’avais de la peine pour elle.

C’était un petit bar sympa, qui ne payait pas de mine de l’extérieur mais je m’y sentis bien. C’était la première fois que j’y mettais les pieds. D’habitude, quand je traînais dans le quartier, je buvais un verre dans un bistrot un peu plus loin, à l’angle de l’avenue.

J’ai commandé un whisky et posé quelques questions au patron. J’appris que Laura venait de temps en temps ici.

— Demandez au gars qui est au fond de la salle, ils causaient souvent ensemble.

Le type en question s’appelait Jimmy Jones, du moins, il se faisait appeler ainsi. Il venait quasiment tous les jours ici. Il passait son temps à écrire sur des feuilles volantes. Le patron me dit qu’il écrivait un roman ou un truc dans ce genre. Je m’assis en face de lui.

— Vous êtes flic?

Bon Dieu, je ne pensais pas que cela se voyait autant sur ma tronche.

— Vous savez pour Laura?
— Oui.

Et le type se mit à chialer. Il en pinçait vraiment pour elle. Il me dit qu’ils s’aimaient.

— Vous savez, j’écrivais sur elle, elle voulait que je la fasse belle dans mon roman. Mais elle était déjà belle, hein, n’est-ce pas inspecteur?

Je ne savais pas quoi répondre. Je suis sorti vite fait, j’avais envie de vomir et j’avais mal au crâne. J’entendais encore les derniers mots d’un passage qu’il m’avait lu.

« Le tendre de tes deux amandes vertes. »

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lundi 24 octobre 2011

Les illusions retrouvées

Il existe au sein de l'International Spy Foundation un département dirigé par le grand chaman en personne. Le département des réalités qu'O'Flaherty, jamais en reste pour ramener sa science, a surnommé « la caverne ». Il renferme tout ce qui peut exister sur le marché en matière de tripatouillage de la vérité vraie. Staboulov m'avait fait la retape :

— Un matos ultra-sophistiqué mais aussi toute une série de contacts bien placés et les moyens de pression ad hoc pour briser les réticences éventuelles. Tu vois mec, c'est pas tout de créer une fausse information, il faut trouver la bonne personne pour la balancer.

C'est dans le cadre de ce département qu'on avait traité le dossier Jimmy Jones. J'ai la désagréable impression qu'on allait bientôt nous balancer l'ombre gracile de la vieille Dounia Summers sur les murs lézardés de l'Inside City.

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Lire l'intégralité de l'histoire en cliquant sous le titre sur N.D.Lay ou sur le blog Ma vie à N.D.Lay (journal de l'Ecrivain).

samedi 22 octobre 2011

Parole de souteneur

Mon grand-père a dressé des pouliches à trotter sur le macadam et il s’est fait pas mal de blé. Quand il en a eu assez, il s’est rangé et a acheté un bar, Chez Eddie. Les filles qui tapinaient dans le quartier venaient boire un coup chez lui, entre deux clients, et il les recevait avec ce sourire qui en avait fait craquer plus d’une. C’est drôle quand on y pense, d’une certaine façon il leur soutirait encore du pognon.

Quand j’étais môme, j’aimais y venir après l’école. Je m’installais au comptoir et il me servait un coca.  J’écoutais les clients raconter leurs histoires. Il y avait ce vieux Franck qui se vantait de ses conquêtes féminines. Tout le monde rigolait. A l’écouter, les femmes le mettaient dans leur lit en moins de deux. Jo, le coiffeur d’en face, aimait l’embarrasser en lui demandant des détails croustillants et le vieux Franck se mettait alors en colère. Il y avait aussi Pedro, un mexicain qui travaillait dans une ferme du coin et qui buvait seulement de la bière. Il avait cinq gosses et il bossait dur. Papy l’aimait bien. Il disait que c’était un brave gars. Et puis, il y avait Lola, une brune un peu rondelette qui me donnait toujours un chewing-gum ou un bonbon avant de repartir au turbin comme elle disait si bien. J’aimais son odeur. Elle sentait la vanille.

Un jour, une fille entra. Son visage était très pâle et elle semblait perdue. Elle commanda un café et s’installa à une table. Papy me demanda de le lui apporter. Quand ses grands yeux sombres se posèrent sur moi, le gamin que j’étais tomba de suite amoureux.

— Merci mon petit. Je te dois combien ?
— Rien, c’est offert par la maison, dit mon grand-père.

Elle resta là une bonne heure et je voyais Papy la regarder avec une attention particulière. Peut-être que lui aussi en était amoureux et cette idée me faisait terriblement mal. J’adorais plus que tout mon grand-père et ne voulais pas entrer en guerre contre lui. Pendant plusieurs jours, elle revint. Un soir,  je les surpris en grande conversation, installés au fond de la salle. Ils chuchotaient et elle souriait. J’étais malheureux et me sentais impuissant. Furieux, j’ai fui et suis rentré à la maison. Il avait fait très froid ce soir là et j’eus une forte fièvre. Je fus alité une bonne semaine. Mon grand-père a appelé tous les jours pour prendre de mes nouvelles.

Quand je repris l’école, je repris également mes habitudes. Je retournai au café, bien décidé à me battre pour mon amour. Je ne la vis pas, ni les jours suivants. Papy me dit qu’elle était partie. Je ne comprenais pas, il ne semblait pas triste.

J’ignorais à cette époque ses précédentes activités. Bien des années plus tard, je confiai à mon père cette histoire et il me raconta que mon grand-père avait permis à cette jeune fille d’échapper à une effroyable destinée. Il l’avait envoyée chez des amis de confiance et avait financé ses études.

— Tu vois mon fils, il l’a soutenue.

Quand je repris le commerce, j’ai changé le nom. J’ai pensé à ces deux grands yeux noirs dont j’avais été follement amoureux. Je l’ai appelé Café Negro.

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mardi 18 octobre 2011

Un p'tit service

J’avais le moral dans les chaussettes. Mon rendez-vous au pôle emploi m’avait complètement achevé. La conseillère a dit qu’à mon âge, j’allais avoir du mal à retrouver du boulot. En gros, je commençais à sentir le sapin et ça m’a foutu un sacré coup.

Alors, je suis rentré à la maison et me suis mis à picoler le whisky que j’avais acheté en route. Me sentais vraiment seul. Attention, faut pas croire que je tise tous les jours ! Je bois un coup avec les copains le week-end, c’est tout, et puis un p’tit coup de temps en temps dans la semaine.

J’avais bien descendu la bouteille quand Fred a toqué à la porte. C’est mon voisin mais aussi mon meilleur pote.

— Y a plus une goutte mon vieux, que j’lui fais.
— Suis pas venu pour ça, faut que tu m’aides.
— Ca peut pas attendre demain ? J’suis crevé.
— Non, c’est Isa.
— Bon Dieu Fred, tu me les casses avec ta bonne femme.
— Elle est morte…. j’crois bien que je l’ai tuée.

Je l’ai suivi et Isa était bien là, raide morte dans le salon. Pouvais pas le croire ! Elle était bien crevée cette salope. J’ai jamais pu l’encadrer et jamais rien compris à ce que Fred pouvait bien lui trouver. Elle était grosse, laide et en plus elle avait une grande gueule. Lui il me disait qu’elle était gentille et belle avant. Mais avant quoi, bordel ? Depuis que je vis dans ce patelin, j’ l’ai toujours connue comme ça. Une emmerdeuse de première, moi je vous l’dis!

J’étais content, il lui avait enfin fermé son clapet à cette grosse conne. Vous pouvez pas savoir ce qu’il a enduré avec cette bonne femme. Elle lui en a fait voir, moi j’vous le dis!

— T’as pas un truc à boire?

J’avais presque dessoûlé avec cette histoire et j’avais besoin d’un verre. On a bu un coup dans la cuisine. Fred était retourné et il paniquait à fond. Fallait le calmer. Je lui ai demandé de me raconter comment ça s’était passé. Comme d’habitude, elle lui a cherché des noises parce qu’il est arrivé avec un peu de retard. Vous vous rendez compte? Le mec, il bosse comme un dingue pour cette poufiasse et elle, elle trouve pas autre chose que d’l’emmerder pour un petit retard… j’vous jure, ça aurait été moi, y’aurait belle lurette que je l’aurais claquée contre un mur.

Ce coup-ci, mon Fred a craqué. Il l’a poussée et elle est tombée. Alors il a cogné et cogné.

— Je crois que j’ai fini par l’étrangler aussi….. sais plus…. qu’est-ce que j’ai fait ? Ma Isa…

Ça me faisait mal de le voir comme ça, alors je nous ai resservi un coup. On a attendu jusqu’à une heure du mat', j’crois bien, et on s’est mis au boulot. J’avais ma petite idée et j’ai tout expliqué à mon pote. J’pouvais pas le laisser comme ça, fallait lui donner un coup de main. Il m’a toujours dépanné quand il fallait parce qu’il est comme ça, il rend service, le Fred. Tiens, pas plus tard que la semaine dernière, il a réparé la chaudière. Moi, j’y connais rien, mais Fred, il sait tout faire. Je lui devais bien ça, non?

Sa bonne femme avait clamsé sur le tapis du salon et ça arrangeait bien nos affaires. Emballé, c’est pesé comme dirait l’autre! Nom de Dieu, c’est qu’elle faisait son poids, la garce. D’un côté, ça m‘étonnait pas, elle en ramait pas une, toujours plantée devant sa télé. On l’a fourguée dans le 4x4 qui était dans le garage. Il l’avait eu d’occase pour l’anniversaire d’Isa et l’avait bricolé en cachette dans ma grange après son travail. Elle lui en faisait des scènes quand il rentrait tard! Il avait fait du bon boulot sur cette caisse, croyez-moi. Quand il lui a offert, c’était le cirque dans notre rue. Elle gueulait tellement qu’elle avait ameuté tout le quartier. « Oh mon chéri ! Oh mon chéri ! » Tout le monde avait rappliqué et admirait l’engin. Moi je sirotais ma bière, assis sur le perron, et je les regardais. Je vous jure, ils sont cons les gens avec les bagnoles.

C’était drôle, c’était devenu maintenant son corbillard à la Isa et ça me faisait sacrément marrer.

Personne ne pouvait nous voir, on a accès au garage par la cuisine et puis à cette heure-ci, tout le monde roupillait. J’ai quand même jeté un œil dans la rue avant de prendre le volant car vous savez, dans ces p’tits pays, les gens sont collés comme des mouches à leurs carreaux. On a roulé une bonne trentaine de kilomètres. J’connaissais un endroit parfait pour ce qu’on avait à faire. On a déchargé le corps, pris les pelles et on est rentré dans le bois. J’sais plus combien de temps on a creusé mais on a creusé pour sûr! Elle était épaisse, la garce, alors fallait creuser double. Fred suait à grosses gouttes et son visage était trempé. J’crois bien qu’il pleurait aussi mais suis pas certain. J’le regardais du coin de l’œil et me suis dit que tant qu’il creusait, il pouvait pas penser. C’est pour ça que j’suis pas sûr qu’il pleurait.

Quand tout a été fini, on a rejoint la bagnole et on a bu une bière. J’avais pensé à en prendre dans le frigo de Fred car je savais qu’on allait avoir soif. On est resté là un petit moment sans parler et à regarder la lune. J’crois bien qu’elle nous souriait. Ensuite, on est rentré et j’ai aidé Fred à nettoyer le 4x4 et son salon car y’avait eu du grabuge. L’autre dans sa crise avait trouvé le moyen de casser tout ce qui lui était tombé sous la main. Quand tout a été nickel, suis rentré chez moi.

Le lendemain, vers 15 heures, deux flics se sont pointés chez Fred. Un homme et une petite blonde. J’me souciais pas pour le type. Il avait pas l’air bien méchant, mais plutôt la tête d’un gars qui ne boit pas que du petit lait. Par contre, la blondasse, je la sentais pas avec son joli p’tit cul. Pour ça, elle en avait un beau mais me suis toujours méfié des jolis p’tits culs. Enfin, depuis que ma bonne femme s’est tirée avec un autre. Elle en avait un joli, elle aussi, et me suis fait rouler dans la farine. J’avais peur que Fred fasse une gaffe et que la blondinette percute. Ils sont restés un bon moment chez lui et moi, j’tournais en rond dans ma cuisine. Et pis, manque de bol, j’avais rien à boire pour patienter. J’les ai entendus partir et me suis pointé chez Fred. Tout s’était passé comme prévu. Ils avaient gobé l’histoire de la marche. Que j’vous explique.

Le toubib d’Isa lui avait conseillé de faire une heure de marche tous les jours à cause de son poids. Comme on était l’été, elle faisait ça le soir, très tard, pour éviter la chaleur. Fred a raconté qu’elle était sortie faire sa marche et que lui, fatigué, était allé se coucher et qu’il a vu qu’elle était pas rentrée le matin, au réveil. Qui pouvait penser que dans nos campagnes, les gens pouvaient disparaître comme ça?

Les flics sont revenus deux ou trois fois après, et puis plus rien. Ils ont dit qu’Isa était majeure et que si elle avait disparu volontairement, on pouvait rien faire et que si y’avait du nouveau, ils feraient signe. Personne avait entendu le 4x4 démarrer cette nuit-là, les voisins les plus proches étaient partis en vacances, et la vieille d’en face était à l’hosto, alors on n'avait rien à craindre.

Fred est venu habiter chez moi. C’était pas bon pour lui de rester dans cette baraque. Trop de mauvais souvenirs. Alors j’lui ai dit de s’installer ici. Comme ça, il était pas seul et moi ça me faisait de la compagnie.

C’était pas facile au début car Fred pensait toujours à sa femme. Il pleurait souvent et moi, je savais pas quoi faire. Il parlait, il racontait sa vie avec elle et moi, j’écoutais. J’pouvais rien dire et j’aurais dit quoi ? Et avec le temps, ça s’est passé un peu. On sortait des fois, le samedi soir. On allait en ville boire un coup. On prenait le 4x4 et on se baladait comme ça dans les environs. Il parlait de moins en moins d’Isa et moi, ça me faisait vachement plaisir. J’étais content de voir mon pote reprendre du poil de la bête.

Aujourd’hui, ça fait deux ans qu’il vit chez moi. On s’entend bien. Il part le matin au boulot et moi, je m’occupe des courses et tout le reste. J’ai pas réussi à me faire embaucher chez un patron. Des fois, les journées sont longues, surtout ces derniers temps. Il y a trois mois, un gars a loué l’ancienne maison de Fred. J’aime pas trop ce type et j’crois que lui aussi m’aime pas. On s’parle à peine. Mais avec Fred, ils ont l’air de bien s’entendre. Ils boivent un coup ensemble, le soir. Et moi, j’attends. C’est long d’attendre. Je lui ai dit à Fred, mais il s’énerve. Il rentre de plus en plus tard. J’comprends pas, on est pourtant bien entre nous.

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dimanche 16 octobre 2011

Le client

C’était l’hiver dernier. J’étais postée au coin de la rue, près de l’hôtel où est morte Laura. Il faisait un froid de canard et croyez-moi, je n’avais qu’une hâte : trouver un client pour me réchauffer un peu dans une piaule. C’était bien la première fois que ça m’arrivait. Vous savez, je fais ça, mais mon rêve, c’est d’être chanteuse. J’croyais qu’Eddie allait m’aider. C’est ce qu’il m’a dit mais j’ai rien vu venir.

J’croyais que j’allais geler sur place quand un type s’est pointé. Il m’a même pas demandé combien coûtait la passe. On est allés à l’hôtel et il a payé la chambre. Il était grand et assez baraqué. Il était laid, vraiment laid. Une de ces têtes qu’on n’oublie pas, j’vous jure! Mais je crois que le pire, c’était ses yeux. Ils étaient immenses et d’un bleu glacé. J’lui ai demandé s’il voulait un truc spécial mais il m’a dit non. Alors j’ai demandé qu’il allonge le fric. Faut toujours veiller à ce que le type sorte son pognon avant. Comme chez le psy, tiens! Il a mis les billets sur la table de nuit et m’a demandé de me déshabiller et de m’allonger sur le lit. J’sais pas pourquoi mais je sentais qu’il y avait un truc qui clochait. Le gars était bizarre et pas très causant. J’étais nue et couchée sur le dos et il s’est approché du lit. Il avait encore ses vêtements et je me suis dit que j’allais avoir une drôle de surprise. Il respirait fort, ça a commencé à me ficher la trouille. Vous savez, on en voit de drôles parfois dans ce métier, des types bizarres, des mecs avec des idées complètement dingues, des pauvres gars aussi, mais là j’avoue que j'avais comme un pressentiment. Il a sorti un petit truc de sa poche et s’est penché.

— Ouvre bien les yeux et laisse-toi faire, qu’il me disait en approchant le machin de mon visage. C’était un écarteur pour les yeux. Je me suis mise à crier et il m’a envoyé un coup de poing.

— Ferme-la salope sinon je t’arrache les paupières.

Il a posé l’appareil sur mon œil gauche et a ressorti de sa poche un second pour l’œil droit. Quand j’y repense, j’en ai encore des frissons. J’ai jamais pu supporter qu’on me tripote les yeux et là, les avoir ouverts, sans pouvoir les fermer, j’en avais la nausée. Il m’a prise alors, ce malade, en me maintenant la tête à deux mains pour que je le regarde. J’pourrai jamais oublier ce regard.

Des fois, j’entends encore, dans mon sommeil, ses yeux rire.

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dimanche 9 octobre 2011

Entre quat'z'yeux (suite)

Le saligaud vivait dans les beaux quartiers, loin des rues crasses où il débarquait ses filles chaque soir. Elle était rentable sa petite entreprise et il gérait cela avec aisance. A cette époque, une bonne douzaine de filles tapinait pour lui. Cela représentait pas mal de fric.

Il me reçut en peignoir. Apparemment, il venait de se lever.

- Nom de Dieu, vous dormez jamais vous les fics ?
- J’suis pas un veinard comme toi Eddie, faut que j’gagne ma croûte. Une de tes filles, Laura, est au frigo.
- Je sais mec et tu crois quoi ? Que c’est moi qui l’ai butée ?
- J’crois rien Eddie, j’me pose juste des questions, c’est mon boulot, les questions.

Il avait la réputation d’être dur avec ses filles, de leur mettre des trempes bien carabinées mais je savais qu’il était en dehors de cette histoire. C’était pas son genre. Il était bien trop malin. Quand il ne faisait plus confiance en une fille, il s’arrangeait pour la faire devenir dingue. C’était pas compliqué. Elles carburaient toutes à l’alcool et la dope. Il suffisait de bien charger la came et faire péter les plombs à la fille. Qui pouvait croire une pute complètement cinglée ?

Je regardai les chaînes autour de son cou, de l’or massif, du très lourd. J’eus envie de lui demander si ses bijoux en dessous de la ceinture valaient aussi leur pesant d’or. J’avais envie de me marrer. C’était pas une bonne idée de poser cette question alors je dis rien.

- Ecoute Max, j’avais aucun intérêt à liquider Laura, ok ? Elle était chouette et bossait bien. Tous les michetons la voulaient. C’était une chic fille n’est-ce pas mon Lou ? Ha ha ha

Je n’ai pas relevé mais j’avais froid dans le dos. Que savait-il exactement à mon sujet ?

- Qu’est-ce que tu crois p’tit inspecteur ? Que t’es le Maître es Filature ?
- T’as une idée de qui a pu faire le coup ? Tu sais ce qu’on lui a fait ?
- Ouais je sais.. et j’ai aucune idée et si j’savais, crois-moi, t’en saurais rien. J’règle mes comptes tout seul.

Quelque chose me disait qu’il en savait plus qu’il le prétendait mais je n’insistai pas.
Il était temps de prendre congé.Dans le couloir, je croisai une de ses filles, une superbe brune.

Elle me regarda et me fit un petit sourire. Ses yeux , immenses, lui dévoraient le visage.
Je pensai à Laura et son regard vide.

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vendredi 7 octobre 2011

Entre quat'z'eux

Je venais d’être nommé inspecteur et je me réjouissais d’avance des missions à venir. Jusque là, j’étais chargé de filer des mac minables et j’en avais assez. C’est usant les filatures.

Je me souviens, c’était un 4 avril — je ne peux pas oublier, c’est le jour de mon anniversaire — mon patron m’a appelé pour me mettre sur l’affaire d’un crime commis la nuit même. Une fille d’Eddie Hant avait été refroidie dans un hôtel. Je me suis rendu sur les lieux, dans le centre ville. L’hôtel était juste en face du cinéma Moon Palace où j’allais parfois voir un film les soirs de grande solitude. Depuis que mon épouse m’avait quitté, il ne me restait plus que le cinéma ou la bouteille pour faire passer le temps en dehors du boulot.

La fille était couchée en travers du lit, sur le ventre. Il y avait du sang partout. Elle était nue. A part cela, la chambre était nickel. Rien ne semblait avoir été déplacé. Le type qui avait fait cela avait veillé à ne rien laisser, juste le corps de cette pauvre fille. Je la reconnus de suite, même de dos, grâce à sa belle chevelure rousse. Je discutais parfois avec elle quand je traînais dans le quartier.

Je la mis sur le dos et ce fut le choc. Deux trous vides et ensanglantés me regardaient. Le type l’avait énucléée. Bon Dieu, qui pouvait faire ça ?

Il était temps d’avoir une conversation avec Eddie entre quat’z’yeux.

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samedi 13 août 2011

Pourrir est un luxe

Pourrir est un luxe qu’on ne peut se payer indéfiniment, à Kaosopolis.
Dounia flottait depuis longtemps. Impression étrange de se tenir en bordure du réel. Tout était donc vrai. Cette injection que lui avait faite le chicanos de la 54e, quelques jours avant qu’elle ne crève. Cette injection pas nette, pas comme d’habitude. De la merde coupée avec du solvant, elle avait pensé. Dunia nunca mueren, Dunia no se pudre, avait marmonné le chicanos en léchant l’avant-bras tuméfié du travelo.

Le jour d’ensuite, tout c’était passé très vite. Douleur vive. Le corps inerte. Les tripes éparses. Les heures qui passent. Les pleurs. Les cortèges souterrains, les prosternations. Dounia enfermée, comme contenue dans son corps inerte. Un engourdissement. Les mouches. L’humidité. Le froid. Une enfant qui pleure. Rex. Jones. Le lapin. La merde, quoi.

Un an s’était écoulé, la ville entière la croyant morte. Elle y aurait sans doute cru aussi, à sa propre mort, si ce n’était des paroles du chicanos, qui résonnaient dans son esprit Dunia no se pudre, transmigración del espíritu.

Dounia flottait depuis trop longtemps. Le temps était venu pour elle de reprendre du service.

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dimanche 20 février 2011

Hommage à Laurent Zavack

En hommage à Laurent Zavack, à la suite d'un post déjà ancien, Mauvaise nouvelle des étoiles, retravaillé pour la cause, la réapparition de Nicolas Ardbeg le héros d'In Vino Véritas, la nouvelle de Laurent Zavack.

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Ange Staboulov m'a convoqué ce matin dans son bureau. Je me souvenais de Nicolas Ardbeg? Et bien figurez-vous, il s'est échappé de Kcavaz Tnerual.

Le grand chaman m'a balancé ça, comme il avait l'habitude, en donnant un petit coup sec sur la ligne pour tester la réaction du poisson.

J'ai fait comme de rien.

Il a continué:

— On l'avait à l'oeil pourtant. Mais pas assez faut croire. Il avait d'abord atterri à Saint Alban, à la demande de sa copine. Il picolait pas mal et entendait des voix. Y'en a eu une, plus vicieuse, plus maligne on ne sait pas, qui lui avait demandé de faire un carton dans le magasin où il travaillait. Alors il a tout raconté à la fille qui a tout de suite prévenu les flics. On ne peut se fier à personne, n'est-ce pas?
— Et pourquoi est-ce qu'il a été transféré ici ? Saint Alban est à plus de dix mille bornes non?
— Effectivement. Sa copine est du coin. C'est même la fille du directeur de Kcavaz Tnerual. Gwendoline Mitchell. Marrant non...
— Si on veut.

Ce Nicolas Ardbeg dans la nature, quelque chose me disait que c'était pas une très bonne nouvelle. A la mort de Da Silva, il m'avait envoyé une bafouille complètement délirante :

«  Je suis de tout coeur avec vous dans l'épreuve que vous traversez. Raoul, mon ami, m'a beaucoup parlé de vous. Il vous tenait en grande estime. Vous devez savoir qu'il ne s'est pas suicidé. Cela a sans doute à voir avec vos multiples recherches. Le grand Rimasky et la nommée Rose. Bien sûr, tout ceci doit rester entre nous.
Bien à vous. » — Nicolas

Comme d'habitude, Ange Staboulov avait joué au con avec mes nerfs:

— Enfin, rassurez-vous, il a été retrouvé. Il chialait comme un gosse à côté du cadavre d'une fille. Une camée. Une certaine Dounia Summers
— Il l'a...
— C'est ce que disent les flics.Lui se défend. Il accuse. Devinez qui?
— Charly Wang?

J'avais lâché ça sans réfléchir. Une évidence. Je m'étais souvenu de cette silhouette sombre sur le mur du White Swan et de cette inscription: À la mémoire de Dounia Summers.

— Putain vous délirez ?
— Je plaisantais.

J'avais montré mes talents de pêcheur.

— Ouais...notez, z'êtes pas tombé loin.
— Alors qui ?
Jimmy Jones

samedi 5 février 2011

Hommage à Zavack

Nicolas Ardberg rasait les murs de l’Inside City. Il portait la barbe longue depuis cinq mois déjà mais préférait garder son crâne dégarni: il le rasait tous les matins.
Ardberg devait passer au Cinéma Moon Palace, question de régler ses comptes avec Dounia. Il ne savait pas qu’elle pissait le sang depuis longtemps, qu’elle hantait tour à tour les projectionnistes qui tentaient d’y exercer leur métier, si on puis encore qualifier cette perte de temps ainsi.
C’est Jimmy Jones qui lui avait passé un coup de fil.
– Osti de chien sale, amène ton cul au QG, Wang te cherche, dit Jones.
– Qui? répond Ardberg.
Jones raccrocha avant qu’Ardberg n’obtienne de réponse.
Jones l’avait déjà convoqué dans des endroits glauques où plus personne ne voulait aller. Seul un taré comme Ardberg l’écoutait encore.
Ardberg, dont les vêtements n’étaient que loques depuis la révolution des perruques bleues, savait un peu ce qu’il allait faire en rendant visite à Dounia: il la sodomiserait avec une bouteille de Jack Daniels. Pour le reste, il improviserait.
Il fut surpris de ne trouver personne au cinéma. Seul un lapin en peluche traînait en bas de l’escalier qui menait à la première salle, là où les films de Bogart jouaient en boucle. Avant de poursuivre, il attrapa une barre de fer crochue, barre qui devait permettre au commis de la billetterie de bien verrouiller la porte avant de quitter. Visiblement, ce soir, le commis s’en battait les couilles.
Ardberg écorchait les murs avec la barre, produisant de belles étincelles, ce qui lui fit penser à la foire ambulante qui s’arrêtait dans son village, Kaosopolis-Sud, durant l’été. Le cri continue qui en résultait se répercutait entre les murs du couloir, lequel menait au sous-sol.
Dans l’obscurité, Ardberg ne sut pas reconnaître les traces de sang qui arpentaient le sol. Il crut simplement à un dégât quelconque. Plus il s’enfonçait dans l’obscurité, plus il sentait une présence étrange, mais familière. Le point de fuite du corridor ne lui offrait rien de reconnaissable, seulement des ombres grises sur un fond noir.
Puis, il réussit à déceler une forme qui semblait accroupie, à califourchon. Au grincement de la barre de fer s’ajoutait un certain grognement, un grognement distant et lourd que seule une ouïe aiguisée savait entendre. La forme qu’Ardberg voyait au loin se précisait. C’était un homme, ou une femme. Ses vêtements étaient clairs. Plus il s’approchait, plus ses vêtements semblaient pâles, sans éclat.
Le grognement si faible grossissait en intensité. Il semblait maintenant que la silhouette n’était pas seule. Ardberg voyait les jambes d’une autre personne, la silhouette étant accroupie entre ces jambes. Ardberg ralentit et tenta de percer l’obscurité mais n’y parvint pas. Puis, il se mit en angle, à quarante-cinq degrés, pour mieux voir cette deuxième silhouette. De par sa poitrine généreuse, Ardberg déduisit qu’il s’agissait d’une femme.
Arrivé à moins de dix mètres, la scène était plus claire. Un homme était accroupie entre les jambes d’une femme et émettait des râles à mi-chemin entre le rut et l’effort sportif. Ardberg, dont la curiosité n’avait d’égal que son goût naturel pour le sordide, s’approcha sans faire de bruit pour mieux apprécier cette scène. Mais ce qu’il vit par la suite le surpris, puis le dégoûta. L’homme fouillait le ventre de la femme avec sa bouche. Il regarda Ardberg, la bouche ensanglantée, ses yeux bridés étaient révulsés vers l’intérieur de son crâne. Il souriait.
C’était Wang.
La femme, qui n’en était pas une, souriait aussi, les yeux grands ouverts, fixes, et dit à Ardberg. «Viens».
C’était Dounia.