dimanche 28 février 2010

Un piège à fauves

Un tintement de clés. Rex pousse la grille. Les cheveux me collent aux tempes, s’immiscent dans ma bouche. Chaleur. Un goût de sel. Le sang pulse aux doigts. Dounia est quelque part, quelques mètres plus bas. Là-haut, Kaosopolis bourdonne, nous a déjà oubliés. Une clameur monte, ils sont plusieurs à scander de vieux trucs révolutionnaires. Rex a été catégorique. Je ne peux pas rester. Funérailles de merde, une odeur rance comme un piège à fauves. Noirceur totale. Rex me pousse sans ménagement. Mes épaules frôlent les parois ruisselantes, arpentent et lisent l’espace, sont mes yeux: ici, des concrétions, là, des béances. Nous trébuchons entre les tôles froissées, entre les bouteilles qui roulent. Des escaliers de mousse. Attention, ça descend et ça tourne. Combien de marches? J’ai perdu le compte. Le froid s’engouffre.

Vif, Rex retire le sac de ma tête. Devant, un couloir irrégulier constitué de niches de terre grossièrement creusées. Dans chaque renfoncement, des corps nus, déséchés. Au bout, une pièce vaguement circulaire où s’agitent une dizaine de silhouettes. Entre elles, Dounia apparaît, luisante comme une poupée de cire. Les lueurs de torches électriques soulignent sa peau tendue de reflets bleus, irréels.


– Eve, je te présente la garde rapprochée de Dounia. Ils vont t’amener ailleurs pour quelques temps. C’est pour ton bien.

Rex frappe fort. Frappe juste. Bruit sourd. Je m’affale. Douleur. La nuque n’encaisse pas, c’est ma tête qui craque. Tout près, un enfant pleure. Les silhouettes se brouillent, tout se dissout.

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mercredi 24 février 2010

6 - Allons-y mon lapin!

Sur l'afficheur du portable à Boris, un texto de la reine nègre.

"Toit du MP! Help!"

- Merde!

Boris lâche un profond soupir, puis s'agenouille devant Olivia.

- Attends-moi ici. J'en ai pour deux minutes.

Le jour tombe. Un chat traverse la ruelle. Boris le suit le long du mur de brique qui mène sur le Boulevard des Capucins. Il jette un coup d'oeil sur le toit du Moon Palace. Désert. Le texto a été écrit il y a plus d'une heure.

- Merde!

Le lapin fait demi tour. Il empoigne doucement Olivia sous les bras, la soulève comme quand ça va pas et plante ses deux yeux de platine dans les siens.

- T'es prête?
- J' sais pas.
- Tu sais pas quoi?
- Pourquoi je devrais être prête.
- Bien sûr que tu sais.
- Peut-être bien.
- Alors?
- Allons-y, mon lapin.

Boris sort une Camel; Olivia sort son briquet. Elle l'allume; il aspire à fond. L'ombre de longues oreilles et une petite silhouette glissent le long du mur. Lentement. Déjà on sent que ça grouille autour. La noirceur attise la rapace. La faim rend louche. Malgré la chaleur suffocante, des fenêtres se ferment, des portes claquent. La chaîne d'un vélo grince et, de sa selle, un vieux clodo avec ses provisions sur le guidon racle sa gorge et crache sans sourciller. Le M phosphorescent du Moon Palace dépasse encore de l'angle du mur, puis disparaît. Nerveux, Boris jette un dernier coup d'oeil sur le boulevard. Un petit nègre sur une borne fontaine se décrotte les ongles d'orteils sous le regard louche d'un mec qui vend de fausses lunettes Armani.

Derrière la caserne, non loin de la pôle de métal, une ruelle. Et à quelques pas de là, une bouche d'égout.

- C'est le trou, papa?
- Le trou est partout.
- Mais, c'est le trou?
- C'est ce qu'on va voir.
- Allons-y, mon lapin!

De grosses mains en peluche soulève le couvercle. Olivia se glisse à l'intérieur. Les marches sont longues. Elle ne voit pas le fond. Elle hésite. Boris s'en mêle un peu, il met le pied sur la première marche.

- Attends!
- Allez! Attention à ta tête.
- Ça tourne et ça descend.

Boris prend soin de ne pas laisser ses oreilles dépasser et il referme le couvercle.

- Il fait noir.
- Allume ta lampe de poche.
- Il est où le fond?

C'est là. Juste là. Et comme il dit ça, la main d'Olivia ne se referme pas sur la marche ou plutôt elle glisse, elle dérape, son corps tombe dans un creux et son cri résonne, ce sont des volutes de sons sans concordances, des spirales stridentes qui cillent et s'allongent tout en s'évanouissant et ce ne sont pas seulement les sons qui s'évanouissent mais les membres d'Olivia et ses yeux et ses mains sur le sol dans une sorte de petit vrombissement qui laisse Boris pour le moins secoué en haut de l'échelle.

- Olivia?!

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lundi 22 février 2010

His name is Wang

Ce matin, Charly Wang m'a demandé si j'avais terminé mon travail. J'ai eu comme un instant d'hésitation. Il a ajouté avec un sourire:

— Celui pour le département de cryptographie bien sûr.

Je me doutais un peu qu'il était au courant. Un type qui passe ses après-midis à photographier les murs se remarque rapidement dans le quartier. Le patron du White Swan prend la chose avec bonhomie :

— Voyez-vous, mon ami, contrairement à ce que certains veulent faire croire, je ne veux pas étouffer, comme vous dites chez vous, la liberté d'expression.

Il a prononcé ces derniers mots en français, avec une emphase ironique, pas mécontent de montrer sa connaissance de la culture de mon pays et de son arrogance si souvent moquée de ce coté-ci de la planète. Le chinois est de ce point de vue bien intégré dans le paysage. Il a continué :

— Non. Simplement, je veux que chacun ici, se promenant dans son quartier, puisse s'y sentir fier d'y habiter, que nous ne soyons plus considérés par la municipalité comme des citoyens de seconde zone. Pour cela, nous ne devons pas nous comporter comme des citoyens de seconde zone. Nous devons nous tenir debout.

Il a balancé son boniment sans ciller. Je n'ai pas moufeté. Laisse tomber la neige, dit le sage en remontant son col. Je ne suis pas porté sur la controverse. J'espère seulement qu'un jour, la vie ne me fera pas payer ma lâcheté. Pour le moment, je serre les dents et je rase les murs à la recherche d'un coin d'ombre.

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jeudi 18 février 2010

What is the question ?


N.D.Lay est une mégalopole maniaque. Un nid d'excellence. Chacun y chasse la mouche dans le lait à grand coup de DDT. Cela donne aux résidents périphériques un goût amer mais un vernis irréprochable. "L'Inside City, c'est autre chose, vous verrez. C'est un bateau à la dérive" que m'avait dit Charly Wang à mon arrivée. Je n'avais pas saisi à l'époque à quel point il le regrettait. La grande lessive qu'il a entamé depuis qu'il a été élu conseiller d'arrondissement est une tentative pour reprendre la barre. Mais pour aller où ? Tout le monde ici se pose la question. Seul Jimmy Jones semble le suivre aveuglément.

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vendredi 12 février 2010

5. La révolution des perruques bleues

Menée de front par Dounia, la stratège des révolutionnaires, les perruques bleues amorcèrent leur première attaque la veille du jour de l'An avec, à leur côté, le commandant Jimmy Jones et le sous-commandant Boris Platine. Inspirés par les attaques-éclair du 3e Reich, les révolutionnaire développèrent la Négro-Blitzkrieg. Il s'agit d'une attaque fourdroyante, rapide, sans concession, mais qui, contrairement à l'approche allemande, déploie ses forces non sur une ville, mais sur le domicile des hauts-dirigeants de Kao. Ces attaques avaient toujours lieu par des nuits sans lune (d'où l'ironie du nom du quartier-général, Moon Palace) sur plusieurs fronts en même temps, de façon à décupler l'effet et à créer la confusion, voire la stupeur chez l'ennemi.

Fait important à noter: les organons étaient constitués de nègres volontaires, armés jusqu'aux dents et prêt à tout pour avoir un morceau de la chair de Kao. Pour eux, l'idéal consistait à la faire griller sur une broche comme un porc pour revivre les rites ancestraux du cannibalisme. Puisque les attaques avaient lieu en pleine noirceur, les nègres, pour se reconnaître au halo d'une lampe de poche, s'affublaient d'une perruque bleue.

Devenus fameux aujourd'hui, on retrouve encore ces symboles de la première révolution égarés ci et là dans les rues, sur les autoroutes. La plupart sont en piètre état, mais certains d'entre eux, retrouvés intacts, sont vendus à un prix exorbitant sur E-Bay.

De nos jours, les nègres constituent 83% de la population de Kaosopolis. Déchus et désenchantés par la défaite simultanée des 3 Révolutions, ils errent dans les rues, l'oeil hagard et les poings en sang. Ils ont promis de retrouver et de manger les entrailles des frères qui les ont trahi pour avoir une part du gâteau de Kao.

P.S. Aucun testament ne semble rendre à sa juste valeur l'ampleur du mouvement de contestation radical entrepris par les perruques bleues. Cependant, la rumeur veut que Jimmy Jones y ait annoté les stratagèmes, les plans, les pensées dans son journal intime. Cela reste à prouver.


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4. Sur les traces de Kao

En octobre 2038, Kaosopolis assiégée par Nanopolis, une ville entièrement peuplée de robots miniatures, a été vaillamment défendue par Kao (voir photo sur la page principal du site), la jeune présidente japonaise de la plus grande société de produits de soins de beauté (en particulier les soins de la peau et des cheveux), mais aussi de produits de santé qui augmentent l'espérance de vie de sa clientèle d'au moins 15 ans. Le produit vendu à un prix exorbitant a non seulement créé la division la plus radicale entre la classe riche et la classe pauvre, elle a complètement enrayé la classe moyenne, provoquant du même coup un conglomérat de sociétés secrètes vouées à part entière à l'anéantissement de la présidente. Comme on le sait, la milice militaire archi-milliardaire de la présidente Kao, portée au pouvoir suite à sa foudroyante victoire contre les androïdes de Nanopolis, est d'une fidélité et d'une cruauté à tout rompre. Cette réalité explique les émeutes, les bombes, la terreur qui règne depuis.

Si le monde continue à vivre, c'est dans un état d'hébétude, de dégôut et d'angoisse permanentes. Voyez l'atmosphère autour du célèbre Moon Palace (ancien quartier général des premiers révolutionnaires antikaosopoliciens), aventurez-vous, si le coeur vous en dit dans le Nid, la fameuse planque de Dounia où l'on retrouve partout sur les murs les photos des révolutionnaires déchus, du lapin sous-commandant dans son fameux accoutrement et d'Olivia, son arme secrète, l'innocence du cyanure et le feu vert dans ses yeux de platine. Voyez aussi les images jaunies de la photographe qui a élévé son art à un degré de précision militaire. Même si les coins sont un peu jaunis et racornis, on peut admirer la composition, les effets de lumière sur les corps décrépis, le ramassis d"objets hétéroclites perdus dans la mégapole: oursons en peluche évidés, batterie de cuisine, livres éventrés, meubles Louis XIV, trombones, Bixis, vieux PC, coeurs de pommes et carcasses de poulet pourries. À vos pieds, vous trouverez sans doute ce qui reste des perruques bleues***, vous les verrez aussi, en plongée, si vous marchez jusqu'à la fenêtre, telles de luminescentes méduses glissant le long des ruelles et des autoroutes au gré des saccades de vent et de pluie, memorabilia fantomatique d'une époque déjà révolue.

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samedi 6 février 2010

Un été caniculaire



Je passe mes après-midis à quadriller l'Inside City, armé de mon Zeiss Ikon Contax. Un vieux coucou ayant appartenu à Robert Capa , ce que m'a affirmé O'Flaherty. Ce type adore la ramener avec ses anticailles. Pour ma part, j'aurais préféré un numérique. Le Ds Mark III par exemple, un pet
it bijou que j'ai vu trainé dans le département "regard sur le monde".
Malgré le prix de la pellicule, je mitraille de façon systématique comme me l'a appris Ange Staboulov. Depuis son passage à la tête
de
l'OBNI, il a développé un penchant pour les méthodes radicales. Je passe des heures à arpenter les rues du quartier. Le soleil tape dur sur les façades en béton. Je tente de me protéger des mouches qui deviennent vicieuses à cause de l'odeur des poubelles qui s'entassent sur les trottoirs. Une preuve supplémentaire de l'incurie de la municipalité comme dit Charly Wang. Au conseil d'arrondissement, il a menacé les bureaucrates de la mairie d'aller lui-même, avec ses gars, ramasser les ordures et les déposer dans les quartiers résidentiels de la banlieue Est. On l'en croit capable. Jimmy Jones est à la tête de cette bande de petites frappes que le propriétaire du White Swan a constitué. Tout ce beau monde commence à inquiéter jusque dans l'Inside. De nombreux graffitis dénoncent Wang et son acolyte. Je me dépêche de les photographier. J'ai l'impression qu'ils seront les premiers à subir les assauts du Karcher. Est-ce pour ramener les traces de cette contestation qu' O'Flaherty m'a confié cette mission ou pour cette mystérieuse silhouette sombre bombée sur la façade du White Swan avec cette inscription A la mémoire de Dounia Summers
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mercredi 3 février 2010

Journal de Jimmy Jones, jour 52


17h. je me précipite hors de la C3I pour m'adonner à quelques vices avant d'aller dormir 4-5 heures, juste assez pour être fonctionnel.

à quelques pâtés de maison le dark lolita me nargue pendant qu'au cinema moon palace un énième film de bogart joue en boucle.

je devrais passer rapidement mais l'odeur de pourriture m'attire comme une pute se précipite dans les bras de son mac je dévisage l'enseigne

clignotements cinglants qui m'appellent pour que j'y trinque ma paye, que les filles m'extirpent encore plus de cash, c'est Kaosopolis.

toujours une diversion toujours une partie de jambes frivoles toujours un liquide + ocre + dru + oriental. j'en enfile autant que je le peux

mais à force de m'entraîner à me défaire ainsi je m'endurcis il m'en faut de + en + pour me liquéfier au bar du dark lolita. jeanne me happe

elle veut que je lui paye un verre puis elle me déchirera les tympans en criant mon nom entre deux couinements, me promet-elle à l'oreille.

je connais bien les chambres du dark lolita. la dl-313 est ma préférée. pas de déco pas de meubles seulement un matelas par terre.

j'y viens toujours accompagné car je ne me fie pas au système aléatoire du dark lolita, système basé sur une séquence du cru de @l_ecrivain

j'appuie toujours sur A, donc, et j'y traîne ma traînasse (car c'en est) dans la dl-313 dont la thématique emprunte mon nom: jones-style.

les filles que j'y emmène veulent souvent m'en montrer, me signifier qu'elles sont pro, mais je n'accepte qu'un seul artifice: la perruque bleue.

donc jeanne qui s'effeuille je la regarde distraitement je la filme avec mon iphone je zoome sur le creux de ses reins je la texte en bleu.

je travel entre ses omoplates au-dessus des tissus restants je donne 1 coup de langue sur son lobe d'oreille gauche elle m'empoigne je verge

le iphone sur sa poitrine sa langue humecte mon mamelon droit sa perruque sent le synthétique le iphone se faufile entre ses cuisses

elle rit se levrette se cambre se dénude je m'arc-boute j'Eiffel j'enfile et toujours j'iphone en streaming à l'orée de son hédonisme.

mes vidéos aboutissent souvent en première partie des films de bogart quand rex réussit à me soudoyer. je suis un homme facile. je cède.

rex contrôle la salle de visionnement du cinema moon palace et on se repasse mes kinoïtes en mangeant du pop-corn sec.

ça bat à tout coup l'ennui morne & assuré que me procure mon travail répétitif & dénué d'imagination à la C3I. commis à l'écriture d'état.

heureusement les 3 révolutions m'ont assez ravagé pour que je ne sois pas reconnu peu importe la compagnie qui m'emploie. la célébrité tue.

mais rex savait y faire en terme de remaniement d'épiderme & j'avais été son cobaye lors de ses premières expériences. pour ma sécurité.

les 3 révolutions, boris platine pourrait nous en parler une mèche mais c'était l'entente que nous avions prise. le passé demeurerait enterré

et comme je ne parlais jamais des 3 révolutions malgré qu'on en célébrât l'échec retentissant chaque année je tabassais ma mémoire pour oublier

les femmes m'aident à enrayer ces années d'espoir naïf où l'on croyait pouvoir vaincre les robots de Nanopolis. c'eut été miraculeux.

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Victor-le-Bègue


Quand le sommeil m’échappait, je grimpais sur le toit du Moon. De là, on voyait la découpe incertaine des immeubles crades et des buildings de verre léchés de néons intermittents. Jeu de surfaces. Le toit était tiède, graveleux. Une odeur de bitume. Des roches infimes s’incrustaient sous mes cuisses. En me concentrant, j’arrivais à voir le ciel derrière les fils grésillants et les masses fuyantes du brouillard qui étouffaient la ville. Le sommeil me repoussait chaque jour davantage. Mes réserves de somnifères étaient à sec.

Nouvelle nuit sur le toit. En face, le Dark Lolita absorbe le regard et baigne le quartier d’ombres diffuses. Combien de chambres, combien de gestes répétés ? Et ces souffles courts, ces cris étouffés, on les croirait poussés par les murs, on jurerait voir l’hôtel se soulever au rythme des halètements. Le Dark Lolita. La chambre DL-08. Victor. J’en garde des souvenirs parcellaires. Étrange la mobilité de cette mémoire où les détails ne sont jamais vraiment ce qu’ils sont. Images instables comme autant d’amas déliés.

Victor détestait me voir prendre ces somnifères :

Dis, p-p-petite, rien pour s-s-soigner tes euh… oublis, ces c-c-comprimés à la c-c-con que tu t’enfiles comme si ta v-v-vie en dépendait.

Ta gueule Vic.

Victor. Je l’avais immédiatement remarqué. Ses allées et venues entre le Dark Lolita et la laverie, toujours aux mêmes heures. Ses pas nonchalants, un sac rempli de draps souillés balancé sur l’épaule. Il avait l’air largué, aussi largué que moi, ça m’avait plu. Je l’ai suivi.

A-a-alors petite. C’est t-t-toi que la Summers a pris sous son aile ? Ça p-parle de toi dans le quartier. T’étais dans un sale état quand ils t-t’ont r-retrouvée. Ça doit bien faire deux mois maintenant… Un entrepôt désaffecté près du p-p-port. Tu as eu de la chance… C’est v-v-rai que tu as tout oublié ? Ta vie d’avant, je v-veux dire…

Une longue cicatrice traçait un méridien incertain sur son front. Le genre de cicatrice qu’on imaginerait mieux sur les lobotomisés d’un autre siècle que sur le visage laiteux d’un jeune bègue timide. Enfin. Les semaines avaient passé. Victor nettoyait les chambres du Dark Lolita et j’allais le rejoindre aux petites heures du matin, porte DL-08. Une chambre quelconque travestie en salle de cinéma miniature. Trois écrans blancs, un lit circulaire dont la base évoquait une bobine de film géante. Un simple bouton permettait de faire tourner le machin à vitesses variables. Ça l’amusait. J’avais bien essayé quelques caresses maladroites mais il semblait ne pas comprendre. Un enfant dans un corps de gaillard. Les yeux brillants, il me montrait son butin : ramassis de slips et de soutifs abandonnés dans les chambres, parfois un bijou de pacotille qu’il m’offrait, fier et satisfait, quelques paquets de clopes entamés, des fonds de bouteille, des pilules, des comprimés qu’on se partageais selon les couleurs : les rouges et les rose pour moi. Les blancs et bleus pour lui.
Pour les bicolores, on tirais à pile ou face. Il gagnait toujours.

Une autre nuit sur le toit. Pas sommeil. En face, le Dark Lolita s’impatiente dans l’attente de ses habituels clients. La chambre DL-08 est désormais libre. Victor n’y est plus, n’a laissé aucune trace. Disparu, volatilisé le même jour que Dounia.

Mes réserves de somnifères sont à sec. Le toit est chaud et la nuit est moite. Au-dessus de ma tête, les fils électriques grésillent comme une mémoire qui cherche son chemin.

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