mardi 18 octobre 2011

Un p'tit service

J’avais le moral dans les chaussettes. Mon rendez-vous au pôle emploi m’avait complètement achevé. La conseillère a dit qu’à mon âge, j’allais avoir du mal à retrouver du boulot. En gros, je commençais à sentir le sapin et ça m’a foutu un sacré coup.

Alors, je suis rentré à la maison et me suis mis à picoler le whisky que j’avais acheté en route. Me sentais vraiment seul. Attention, faut pas croire que je tise tous les jours ! Je bois un coup avec les copains le week-end, c’est tout, et puis un p’tit coup de temps en temps dans la semaine.

J’avais bien descendu la bouteille quand Fred a toqué à la porte. C’est mon voisin mais aussi mon meilleur pote.

— Y a plus une goutte mon vieux, que j’lui fais.
— Suis pas venu pour ça, faut que tu m’aides.
— Ca peut pas attendre demain ? J’suis crevé.
— Non, c’est Isa.
— Bon Dieu Fred, tu me les casses avec ta bonne femme.
— Elle est morte…. j’crois bien que je l’ai tuée.

Je l’ai suivi et Isa était bien là, raide morte dans le salon. Pouvais pas le croire ! Elle était bien crevée cette salope. J’ai jamais pu l’encadrer et jamais rien compris à ce que Fred pouvait bien lui trouver. Elle était grosse, laide et en plus elle avait une grande gueule. Lui il me disait qu’elle était gentille et belle avant. Mais avant quoi, bordel ? Depuis que je vis dans ce patelin, j’ l’ai toujours connue comme ça. Une emmerdeuse de première, moi je vous l’dis!

J’étais content, il lui avait enfin fermé son clapet à cette grosse conne. Vous pouvez pas savoir ce qu’il a enduré avec cette bonne femme. Elle lui en a fait voir, moi j’vous le dis!

— T’as pas un truc à boire?

J’avais presque dessoûlé avec cette histoire et j’avais besoin d’un verre. On a bu un coup dans la cuisine. Fred était retourné et il paniquait à fond. Fallait le calmer. Je lui ai demandé de me raconter comment ça s’était passé. Comme d’habitude, elle lui a cherché des noises parce qu’il est arrivé avec un peu de retard. Vous vous rendez compte? Le mec, il bosse comme un dingue pour cette poufiasse et elle, elle trouve pas autre chose que d’l’emmerder pour un petit retard… j’vous jure, ça aurait été moi, y’aurait belle lurette que je l’aurais claquée contre un mur.

Ce coup-ci, mon Fred a craqué. Il l’a poussée et elle est tombée. Alors il a cogné et cogné.

— Je crois que j’ai fini par l’étrangler aussi….. sais plus…. qu’est-ce que j’ai fait ? Ma Isa…

Ça me faisait mal de le voir comme ça, alors je nous ai resservi un coup. On a attendu jusqu’à une heure du mat', j’crois bien, et on s’est mis au boulot. J’avais ma petite idée et j’ai tout expliqué à mon pote. J’pouvais pas le laisser comme ça, fallait lui donner un coup de main. Il m’a toujours dépanné quand il fallait parce qu’il est comme ça, il rend service, le Fred. Tiens, pas plus tard que la semaine dernière, il a réparé la chaudière. Moi, j’y connais rien, mais Fred, il sait tout faire. Je lui devais bien ça, non?

Sa bonne femme avait clamsé sur le tapis du salon et ça arrangeait bien nos affaires. Emballé, c’est pesé comme dirait l’autre! Nom de Dieu, c’est qu’elle faisait son poids, la garce. D’un côté, ça m‘étonnait pas, elle en ramait pas une, toujours plantée devant sa télé. On l’a fourguée dans le 4x4 qui était dans le garage. Il l’avait eu d’occase pour l’anniversaire d’Isa et l’avait bricolé en cachette dans ma grange après son travail. Elle lui en faisait des scènes quand il rentrait tard! Il avait fait du bon boulot sur cette caisse, croyez-moi. Quand il lui a offert, c’était le cirque dans notre rue. Elle gueulait tellement qu’elle avait ameuté tout le quartier. « Oh mon chéri ! Oh mon chéri ! » Tout le monde avait rappliqué et admirait l’engin. Moi je sirotais ma bière, assis sur le perron, et je les regardais. Je vous jure, ils sont cons les gens avec les bagnoles.

C’était drôle, c’était devenu maintenant son corbillard à la Isa et ça me faisait sacrément marrer.

Personne ne pouvait nous voir, on a accès au garage par la cuisine et puis à cette heure-ci, tout le monde roupillait. J’ai quand même jeté un œil dans la rue avant de prendre le volant car vous savez, dans ces p’tits pays, les gens sont collés comme des mouches à leurs carreaux. On a roulé une bonne trentaine de kilomètres. J’connaissais un endroit parfait pour ce qu’on avait à faire. On a déchargé le corps, pris les pelles et on est rentré dans le bois. J’sais plus combien de temps on a creusé mais on a creusé pour sûr! Elle était épaisse, la garce, alors fallait creuser double. Fred suait à grosses gouttes et son visage était trempé. J’crois bien qu’il pleurait aussi mais suis pas certain. J’le regardais du coin de l’œil et me suis dit que tant qu’il creusait, il pouvait pas penser. C’est pour ça que j’suis pas sûr qu’il pleurait.

Quand tout a été fini, on a rejoint la bagnole et on a bu une bière. J’avais pensé à en prendre dans le frigo de Fred car je savais qu’on allait avoir soif. On est resté là un petit moment sans parler et à regarder la lune. J’crois bien qu’elle nous souriait. Ensuite, on est rentré et j’ai aidé Fred à nettoyer le 4x4 et son salon car y’avait eu du grabuge. L’autre dans sa crise avait trouvé le moyen de casser tout ce qui lui était tombé sous la main. Quand tout a été nickel, suis rentré chez moi.

Le lendemain, vers 15 heures, deux flics se sont pointés chez Fred. Un homme et une petite blonde. J’me souciais pas pour le type. Il avait pas l’air bien méchant, mais plutôt la tête d’un gars qui ne boit pas que du petit lait. Par contre, la blondasse, je la sentais pas avec son joli p’tit cul. Pour ça, elle en avait un beau mais me suis toujours méfié des jolis p’tits culs. Enfin, depuis que ma bonne femme s’est tirée avec un autre. Elle en avait un joli, elle aussi, et me suis fait rouler dans la farine. J’avais peur que Fred fasse une gaffe et que la blondinette percute. Ils sont restés un bon moment chez lui et moi, j’tournais en rond dans ma cuisine. Et pis, manque de bol, j’avais rien à boire pour patienter. J’les ai entendus partir et me suis pointé chez Fred. Tout s’était passé comme prévu. Ils avaient gobé l’histoire de la marche. Que j’vous explique.

Le toubib d’Isa lui avait conseillé de faire une heure de marche tous les jours à cause de son poids. Comme on était l’été, elle faisait ça le soir, très tard, pour éviter la chaleur. Fred a raconté qu’elle était sortie faire sa marche et que lui, fatigué, était allé se coucher et qu’il a vu qu’elle était pas rentrée le matin, au réveil. Qui pouvait penser que dans nos campagnes, les gens pouvaient disparaître comme ça?

Les flics sont revenus deux ou trois fois après, et puis plus rien. Ils ont dit qu’Isa était majeure et que si elle avait disparu volontairement, on pouvait rien faire et que si y’avait du nouveau, ils feraient signe. Personne avait entendu le 4x4 démarrer cette nuit-là, les voisins les plus proches étaient partis en vacances, et la vieille d’en face était à l’hosto, alors on n'avait rien à craindre.

Fred est venu habiter chez moi. C’était pas bon pour lui de rester dans cette baraque. Trop de mauvais souvenirs. Alors j’lui ai dit de s’installer ici. Comme ça, il était pas seul et moi ça me faisait de la compagnie.

C’était pas facile au début car Fred pensait toujours à sa femme. Il pleurait souvent et moi, je savais pas quoi faire. Il parlait, il racontait sa vie avec elle et moi, j’écoutais. J’pouvais rien dire et j’aurais dit quoi ? Et avec le temps, ça s’est passé un peu. On sortait des fois, le samedi soir. On allait en ville boire un coup. On prenait le 4x4 et on se baladait comme ça dans les environs. Il parlait de moins en moins d’Isa et moi, ça me faisait vachement plaisir. J’étais content de voir mon pote reprendre du poil de la bête.

Aujourd’hui, ça fait deux ans qu’il vit chez moi. On s’entend bien. Il part le matin au boulot et moi, je m’occupe des courses et tout le reste. J’ai pas réussi à me faire embaucher chez un patron. Des fois, les journées sont longues, surtout ces derniers temps. Il y a trois mois, un gars a loué l’ancienne maison de Fred. J’aime pas trop ce type et j’crois que lui aussi m’aime pas. On s’parle à peine. Mais avec Fred, ils ont l’air de bien s’entendre. Ils boivent un coup ensemble, le soir. Et moi, j’attends. C’est long d’attendre. Je lui ai dit à Fred, mais il s’énerve. Il rentre de plus en plus tard. J’comprends pas, on est pourtant bien entre nous.

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