dimanche 16 octobre 2011

Le client

C’était l’hiver dernier. J’étais postée au coin de la rue, près de l’hôtel où est morte Laura. Il faisait un froid de canard et croyez-moi, je n’avais qu’une hâte : trouver un client pour me réchauffer un peu dans une piaule. C’était bien la première fois que ça m’arrivait. Vous savez, je fais ça, mais mon rêve, c’est d’être chanteuse. J’croyais qu’Eddie allait m’aider. C’est ce qu’il m’a dit mais j’ai rien vu venir.

J’croyais que j’allais geler sur place quand un type s’est pointé. Il m’a même pas demandé combien coûtait la passe. On est allés à l’hôtel et il a payé la chambre. Il était grand et assez baraqué. Il était laid, vraiment laid. Une de ces têtes qu’on n’oublie pas, j’vous jure! Mais je crois que le pire, c’était ses yeux. Ils étaient immenses et d’un bleu glacé. J’lui ai demandé s’il voulait un truc spécial mais il m’a dit non. Alors j’ai demandé qu’il allonge le fric. Faut toujours veiller à ce que le type sorte son pognon avant. Comme chez le psy, tiens! Il a mis les billets sur la table de nuit et m’a demandé de me déshabiller et de m’allonger sur le lit. J’sais pas pourquoi mais je sentais qu’il y avait un truc qui clochait. Le gars était bizarre et pas très causant. J’étais nue et couchée sur le dos et il s’est approché du lit. Il avait encore ses vêtements et je me suis dit que j’allais avoir une drôle de surprise. Il respirait fort, ça a commencé à me ficher la trouille. Vous savez, on en voit de drôles parfois dans ce métier, des types bizarres, des mecs avec des idées complètement dingues, des pauvres gars aussi, mais là j’avoue que j'avais comme un pressentiment. Il a sorti un petit truc de sa poche et s’est penché.

— Ouvre bien les yeux et laisse-toi faire, qu’il me disait en approchant le machin de mon visage. C’était un écarteur pour les yeux. Je me suis mise à crier et il m’a envoyé un coup de poing.

— Ferme-la salope sinon je t’arrache les paupières.

Il a posé l’appareil sur mon œil gauche et a ressorti de sa poche un second pour l’œil droit. Quand j’y repense, j’en ai encore des frissons. J’ai jamais pu supporter qu’on me tripote les yeux et là, les avoir ouverts, sans pouvoir les fermer, j’en avais la nausée. Il m’a prise alors, ce malade, en me maintenant la tête à deux mains pour que je le regarde. J’pourrai jamais oublier ce regard.

Des fois, j’entends encore, dans mon sommeil, ses yeux rire.

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