samedi 5 février 2011

Hommage à Zavack

Nicolas Ardberg rasait les murs de l’Inside City. Il portait la barbe longue depuis cinq mois déjà mais préférait garder son crâne dégarni: il le rasait tous les matins.
Ardberg devait passer au Cinéma Moon Palace, question de régler ses comptes avec Dounia. Il ne savait pas qu’elle pissait le sang depuis longtemps, qu’elle hantait tour à tour les projectionnistes qui tentaient d’y exercer leur métier, si on puis encore qualifier cette perte de temps ainsi.
C’est Jimmy Jones qui lui avait passé un coup de fil.
– Osti de chien sale, amène ton cul au QG, Wang te cherche, dit Jones.
– Qui? répond Ardberg.
Jones raccrocha avant qu’Ardberg n’obtienne de réponse.
Jones l’avait déjà convoqué dans des endroits glauques où plus personne ne voulait aller. Seul un taré comme Ardberg l’écoutait encore.
Ardberg, dont les vêtements n’étaient que loques depuis la révolution des perruques bleues, savait un peu ce qu’il allait faire en rendant visite à Dounia: il la sodomiserait avec une bouteille de Jack Daniels. Pour le reste, il improviserait.
Il fut surpris de ne trouver personne au cinéma. Seul un lapin en peluche traînait en bas de l’escalier qui menait à la première salle, là où les films de Bogart jouaient en boucle. Avant de poursuivre, il attrapa une barre de fer crochue, barre qui devait permettre au commis de la billetterie de bien verrouiller la porte avant de quitter. Visiblement, ce soir, le commis s’en battait les couilles.
Ardberg écorchait les murs avec la barre, produisant de belles étincelles, ce qui lui fit penser à la foire ambulante qui s’arrêtait dans son village, Kaosopolis-Sud, durant l’été. Le cri continue qui en résultait se répercutait entre les murs du couloir, lequel menait au sous-sol.
Dans l’obscurité, Ardberg ne sut pas reconnaître les traces de sang qui arpentaient le sol. Il crut simplement à un dégât quelconque. Plus il s’enfonçait dans l’obscurité, plus il sentait une présence étrange, mais familière. Le point de fuite du corridor ne lui offrait rien de reconnaissable, seulement des ombres grises sur un fond noir.
Puis, il réussit à déceler une forme qui semblait accroupie, à califourchon. Au grincement de la barre de fer s’ajoutait un certain grognement, un grognement distant et lourd que seule une ouïe aiguisée savait entendre. La forme qu’Ardberg voyait au loin se précisait. C’était un homme, ou une femme. Ses vêtements étaient clairs. Plus il s’approchait, plus ses vêtements semblaient pâles, sans éclat.
Le grognement si faible grossissait en intensité. Il semblait maintenant que la silhouette n’était pas seule. Ardberg voyait les jambes d’une autre personne, la silhouette étant accroupie entre ces jambes. Ardberg ralentit et tenta de percer l’obscurité mais n’y parvint pas. Puis, il se mit en angle, à quarante-cinq degrés, pour mieux voir cette deuxième silhouette. De par sa poitrine généreuse, Ardberg déduisit qu’il s’agissait d’une femme.
Arrivé à moins de dix mètres, la scène était plus claire. Un homme était accroupie entre les jambes d’une femme et émettait des râles à mi-chemin entre le rut et l’effort sportif. Ardberg, dont la curiosité n’avait d’égal que son goût naturel pour le sordide, s’approcha sans faire de bruit pour mieux apprécier cette scène. Mais ce qu’il vit par la suite le surpris, puis le dégoûta. L’homme fouillait le ventre de la femme avec sa bouche. Il regarda Ardberg, la bouche ensanglantée, ses yeux bridés étaient révulsés vers l’intérieur de son crâne. Il souriait.
C’était Wang.
La femme, qui n’en était pas une, souriait aussi, les yeux grands ouverts, fixes, et dit à Ardberg. «Viens».
C’était Dounia.

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